Au cœur du rêve, je suis seul. Dépouillé de toutes mes garanties,
dévêtu des artifices de langage, des protections sociales, des idéologies
rassurantes, je me retrouve dans l’isolement parfait de la créature devant le
monde. Plus rien ne subsiste du moi construit ; c’est à peine si, en cet
instant où je ne suis plus que moi-même, j’ai encore la conscience d’être
quelqu’un. Je suis un être humain, n’importe lequel, semblable à mes
semblables. Mais il n’y a plus de semblables dans cette solitude. Il ne reste
de moi que la créature et sa destinée, son inexplicable et impérieuse destinée.
Avec stupeur, je découvre que je suis cette vie infinie : un être dont les
origines remontent au delà de tout ce que je puis connaître, dont le sort
dépasse les horizons où atteint mon regard. Je ne sais plus autour de quelles
pauvres raisons j’ai organisé la petite existence de cet individu que j’étais.
Je suis seulement que m’apparaissent maintenant les raisons de ma vie véritable
: elles demeurent innomées, mais présentes ; elles sont ce que j’éprouve, l’immensité
de mon étendue réelle.
Albert Béguin, L’Ame romantique et le rêve, 1939
At the heart of the dream, I am alone. Stripped of all my guarantees, disrobed of the artifices of language, social protections, comforting ideologies, I find myself in the perfect isolation of the creature before the world. Nothing more remains of the constructed self; in the instant when I am no more than I myself, barely am I aware of being someone. I am a human being, any human being, a fellow to my fellow men. But there are no more fellow men in this solitude. All that is left of me is the creature and its destiny, its inexplicable and imperious destiny. With bewilderment, I discover that I am this infinite life: a being whose origins go back beyond all that I am capable of knowing, whose fate extends farther than the horizons of my gaze. I no longer know the paltry reasons around which I organised the petty existence of the individual that I was. I have being only because it is now that the reasons of my true life appear to me: they dwell unnamed, but present; they are what I experience, the vastness of my real expanse.